PORTRAIT. Défenseure des droits des femmes, la Camerounaise de 47 ans a fait de la lutte contre les viols et les mariages précoces son combat depuis plus de vingt ans.
« C’est toute une vie qui est récompensée. » Voilà ce que disent celles et ceux qui connaissent Aissa Doumara Ngatansou, lauréate du premier prix Simone-Veil. Ce lundi, 11 mars 2019, au siège de l’Association de lutte contre les violences faites aux femmes (ALVF), dont elle est la coordonnatrice, au quartier Kakataré à Maroua, dans l’extrême-nord du Cameroun, ses collaborateurs n’en revenaient toujours pas. Vendredi dernier, l’émotion était à son comble quand le président français, Emmanuel Macron, présidait la première cérémonie de remise du prix Simone-Veil qui est donc revenu à la Camerounaise Aïssa Doumara Ngatansou. Un prix accompagné d’une enveloppe de 100 000 euros (environ 70 millions de FCFA). Mme Doumara a indiqué que cette somme allait permettre à son association de se doter d’un « nouveau centre complet de prise en charge » des victimes et d’étendre ses activités ailleurs en Afrique.
L’extrême-nord du Cameroun est une région où l’ALVF est au front, dans la lutte contre les violences faites aux femmes depuis deux décennies. Surtout avec les conséquences (viols et violences) de la guerre que le Cameroun livre contre Boko Haram. En effet, depuis 20 ans, Aïssa Doumara Ngatansou est active dans la lutte contre les viols et mariages précoces dans cette partie du Cameroun, où ces pratiques sont très courantes. Victime elle-même, la toute première lauréate du prix Simone-Veil a été contrainte de se marier à l’âge de 15 ans.
Unanimité
Si certains Camerounais l’ont découverte jeudi dernier, ceux qui la connaissent n’ont pas été surpris par cette distinction. Des ONG et autres acteurs de la société civile œuvrant dans la région de l’Extrême-Nord sont unanimes : « ce prix est une reconnaissance à un combat mené sans relâche depuis que je connais Mme Aïssa », témoigne François Ndangue, enseignant basé à Maroua. Même témoignage du côté des activistes qui militent en faveur de l’épanouissement des filles et des femmes dans cette partie du Cameroun. « Cette dame mérite tous les honneurs. Elle est restée fidèle à son combat des années durant, travaillant en toute humilité contre les violences faites aux femmes et aux filles, surtout contre les mariages précoces. Son combat aujourd’hui est récompensé au plus haut niveau. Je suis fière de toi et fière de cette distinction », a publié sur sa page Facebook Fidèle Djebba, responsable de l’association Rayon de soleil, spécialisé dans la lutte pour le droit de la jeune fille. Ancienne journaliste, Madeleine Memb a raccroché le micro pour investir dans le social. « (…) Je renouvelle ma prière favorite : toujours faire partie des équipées gagnantes pour l’amélioration de la condition de la femme. Merci à la pouliche Aïssa Doumara », a-t-elle déclaré sur son compte Facebook. Mais d’où cette femme debout puise-t-elle cette force, alors que dans cette région les femmes sont généralement soumises à leurs maris ? Des questions que de nombreux observateurs se posent.
Une vie, un combat
Pour trouver un début de réponse, il faut plonger dans le passé de celle qu’on nomme volontiers « la survivante ». Forcée de se marier dès l’âge de 15 ans, après avoir perdu sa mère quatre ans plus tôt, ces situations ont très tôt « révolté » Aïssa Doumara Ngatansou. Malgré l’opposition de sa belle-famille, elle entreprend de poursuivre ses études secondaires. Battue par son mari, elle parvient a fuir le foyer familial. Après son baccalauréat, elle fonde dès 1996 une association qui a pour crédo de combattre les violences contre les femmes. Au quotidien, les membres de l’ALVF sont sur le terrain. « Nous voulons que ces personnes [victimes des violences, NDLR] parlent elles-mêmes de ce qu’elles ont vécu. Avant, on reportait les témoignages de ces personnes et on interprétait ; on publiait soit pour sensibiliser la communauté sur ces maux, soit pour faire le plaidoyer auprès des décideurs pour qu’ils changent les textes. Mais maintenant on vit directement la réalité », a déclaré il y a quelques mois Aïssa Doumara, dans les colonnes du journal L’œil du Sahel, un périodique régional. Et son combat pour cette cause porte déjà des fruits. À l’Élysée jeudi dernier, Mme Doumara a raconté de « petites histoires »… Celle d’une fille de 12 ans dont le mariage avait été organisé à la veille de son entrée en classe de 6e et celle d’une fille de 20 ans qui a vécu l’exécution de son époux et de son enfant par des membres de la secte Boko Haram. Dans les deux cas, l’ALVF a apporté son assistance pour annuler le mariage. « Ce sont des dénouements pareils qui donnent de la force à son combat », explique Salomon N., proche d’Aïssa Doumara.
L’ALVF vient en aide chaque année à plus d’un millier de femmes, qu’elle aide à « retrouver le goût à la vie » après un viol ou un mariage forcé. Elle mène aussi des actions dans les villages pour qu’aucune jeune fille ne soit contrainte à se marier sans avoir fini ses études et contre son gré. L’ALVF s’est également engagée, en appui avec d’autres ONG, auprès des femmes victimes de Boko Haram dans les régions frontalières avec le Nigeria, où elles sont parfois victimes d’esclavage sexuel.
Par Elisabeth Koagne, à Yaoundé
Souce : Le point Afrique